Marik

et   Pierre

Kermaria

   Nomade

 

Paimpol Madère Canaries Sénégal Cabo verde Petites Antilles Cuba Yucatan Açores Paimpol 2003-2004











 

 

 

 

 



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5. Dakar et Saloum (octobre-novembre 2003)

DAKAR

    Certains demandent des photos de nous, c'est dans le domaine du possible, d'autres nous demandent de l'aventure avec un grand A et là, on pense " A la poursuite du diamant vert ", on se dit que c'est l'Afrique, les crocodiles, les gros serpents, les trafics d'or ou de diamant mais désolés, ce ne sera pas pour cette fois.
    7 octobre, nous voilà en route pour Dakar. Trois jours et demi pour faire les 350 milles qui nous séparent du Sénégal, on ne bat pas des records de vitesse depuis notre départ de Paimpol. Vent de nordet, de la mer et quelques grains qu'on voit arriver à toute allure mais qui ne seront finalement pas bien méchants. La route est tranquilleet nous découvrons sous des couleurs de soleil levant l'île de Gorée sortant à peine de son sommeil et les nombreuses pirogues colorées qui reviennent d'une nuit de pêche. Nos narines ne sont pas envahies par les multiples senteurs de l'Afrique comme le décrivent beaucoup de navigateurs, mais par celles des égouts qui se déversent dans la baie de Hann où se trouve le mouillage du club de voile de Dakar (CVD).
Beaucoup de voiliers, sur des corps mort dont la solidité n'est pas toujours à toute épreuve : un bateau s'est retrouvé sur la plage un petit matin.
    Bon, parés à découvrir Dakar, un coup de corne de brume, et le passeur vient nous chercher à bord. Nous sommes accueillis par Laurent qui s'occupe du club, avec un verre de bouhy, jus délicieux (à mon goût, Pierre lui trouve un goût de mallox) fait avec le pain de singe, fruit du baobab. Le club, tout le monde le dit et c'est vrai, est un lieu très agréable, et la structure du lieu facilite grandement les rencontres. Nous, confort confort, on apprécie en premier lieu les douches ; après un mois à se laver en économisant l'eau, c'est le grand luxe et ici je prends plusieurs douches par jour. J'achète ce premier jour des beignets de poisson délicieux (que je mangerai toute seule, Pierre est encore à la diète après sa tourista) à " mama pastel " qui vient régulièrement dans le quartier vendre beignets, cacahuètes et encens.
    Le CVD est à une vingtaine de minutes, en taxi, du centre ville où nous nous rendons rapidement pour retirer de l'argent. Ca fait drôle de se retrouver avec des billets pleins de zéros. Le CFA, c'est comme nos anciens francs. J'ai hâtede goûter la cuisine africaine que je ne connais pas du tout. Il paraît qu'en plus, c'est au Sénégal qu'on trouve la meilleure cuisine d'Afrique de l'ouest. Ce sera un poulet yassa pour débuter : riz, sauce épicée à base d'oignons et poulet frit. La vie est si peu chère ici qu'on mangera pratiquement tous les jours à l'extérieur et on n'a que l'embarras du choix. On trouve des petits restaurants partout, des vendeurs de brochettes (à 50 CFA la brochette), des marchands ambulants de viande de mouton grillée. On se fera aussi des orgies de mangue, ce n'est pas la saison, mai juin normalement, mais il en vient de Guinée.
     Ce premier jour, on profite d'être au centre ville pour aller visiter le musée de l'IFAN. Ne connaissant pas encore Dakar, on prend la rue Pompidou, celle où nous attendent les racoleurs de tous genres qui espèrent faire une bonne affaire et comme ce dimanche matin, nous sommes à peu près les seuls gogos en vue ... je me fais même sermonner par l'un d'eux car j'ai acheté un tissu chez un libanais et pas chez un sénégalais. Ca semble difficile de gagner sa vie dans cette ville, un salaire mensuel moyen doit être de 50000 CFA et encore ! si le boulot n'est pas spécialisé, ce sera plutôt 20000 CFA, et ni sécu ni retraite. Alors quand ils nous voient arriver, ils espèrent bien en tirer quelque chose.
On arrive quand même au musée et il n'y a pas un chat, on l'a pour nous tous seuls. Si on enlève le côté poussiéreux, c'est un vrai régal de masques et de costumes avec mises en scènes assez réalistes. Pierre touche à tout et fait tomber une porte décorée. Pas de panique, le gardien visiblement habitué remet la porte dans le gond et c'est réparé ! J'imagine la même chose dans un musée parisien…
    On termine la ballade par un tour au marché Sandaga. Il est immense, entièrement couvert et s'étend sur trois étages. C'est visiblement le ventre de la ville. Tout ce qui se mange peut se trouver ici ; viande, poisson, fruits, légumes et épices. L'ambiance est étonnante, les allées sont en terre battue, les étals baignent dans une clarté blafarde et les bruits semblent complètement étouffés.
    " Bonjour ", " Bonjour ", elle me regarde d'un air étonnée mais en Afrique on se salue beaucoup. Quelques heures plus tard, on se reconnaît. C'est Cathy qui est sur Fugue avec Mahu. Nous les avions croisés à Ténériffe et ils repartent pour une deuxièmetraversée d'Atlantique. Nous passerons des moments vraiment agréables avec eux et la mémoire de Cathy nous sera précieuse pour préciser l'itinéraire de notre prochaine étape, le Saloum. On retrouve comme ça deux autres bateaux rencontrés à Santa Cruz. Toutes sortes de gens passent au CVD, des anciens voileux ayant fréquenté le club, des voileux installés dans le coin à faire du charter, d'autres ayant posé leur valise en Casamance ou dans le Saloum.
    Avec Alice et Céline, deux bateaux stoppeuses, et guidées par gnagna, la nièce de mama pastel, nous partons pour le marché " HLM ". En fait, je ne sais pas si ça s'écrit comme ça, c'est peut-être achélem ou hachelleaime, mais la prononciation est bonne. Nous y allons en bus rapide. Ce sont des minibus, complètement décorés de couleurs vives et le trajet coûte trois fois rien comparé au taxi. Il faut simplement avoir le coup ; avec Pierre on essaiera sans succès d'en prendre un ; ils sont souvent pleins avant de s'arrêter et pas moyen de comprendre leur lieu de destination.
    Le problème de la langue, ça fait partie des choses que j'ai découvertes en arrivant à Dakar. Je croyais que tout le monde parlait français, et bien, pas du tout. Tout le monde parle wolof même ceux qui sont originaires d'autres ethnies. On verra ça dans le Saloum où un Sérère discute sans problème avec un guinéen dans cette langue. Le français est bien sûr beaucoup parlé mais c'est une langue utilitaire, et il faut être allé à l'école ou fréquenter des français pour la connaître. En tous cas, je suis épatée de la facilité avec laquelle, souvent, ils parlent plusieurs langues.
    Je fais des digressions mais nous arrivons donc au marché HLM qui est en fait un immense marché de tissus. Nous déambulons toute la matinée dans d'étroits couloirs, à déballer, marchander. Les tailleurs ont leurs ruelles et on peut se faire faire dans l'heure boubous, chemises ou robes. Les commerçants sont durs au marchandage ou alors on évalue mal les prix, on se voyait revenir avec des monceaux de tissus mais la récolte sera pauvre.


    Le quartier de Hann est très animé et pas du tout touristique. C'est un plaisir des sens de déambuler dans les rues, de boire un café touba (mélange grillé de café vert, mil et djar) au marché au poisson, de regarder travailler un sculpteur installé dehors. Les femmes sont belles, avec leurs boubous colorés, leur démarche élégante, les odeurs des étals se mélangent, cacahuètes grillées dans le sable, encens, poisson. Presque tous les soirs, on entend le son des djembés apporté par le vent. Peut-être que ça dépend des quartiers, mais je peux déambuler seule même à des heures avancées sans qu'à aucun moment, j'ai l'impression qu'on va m'agresser ou me dévaliser. On risque plus sa peau en marchant le long des routes. La route de Rufisque qu'on emprunte pour aller au café internet est toujours embouteillée et comme elle est pleine de trous, les voitures, bus et camions roulent en zig-zag et souvent sur le bas côté. Ca ne s'arrange pas quand il y a des pluies torrentielles comme celle qu'on a eu un soir, je ne vous raconte pas l'état dans lequel on était ; ce même soir, les taxis avaient doublé leur tarif et N'Dyaye, qui travaille au CVD n'en a même pas trouvé un qui veuille la ramener chez elle.


    Côté artistique, on a l'occasion de voir un groupe de danse musique au centre culturel français, 23 artistes français et sénégalais nous annonce le dépliant. En fait, 4 français jouent tendance jazz et les sénégalais sont percussionnistes avec un chanteur et deux danseuses. Le spectacle est génial, certains percussionnistes sont excellents. Pendant tout ce temps, des femmes essentiellement, viennent mettre des billets dans la main du chanteur, il y en a même une qui lui laisse son sac à main. Mon voisin m'explique qu'on fait ça si on est content du chanteur mais que c'est aussi une façon de parader et de montrer sa richesse.

    La semaine s'écoule comme ça au gré des rencontres et il va être temps de partir. Gros avitaillement car dans le Saloum, et ensuite au Cap Vert, le choix sera réduit. On fait le plein d'eau et là, Pierre a dû vouloir réinventer le moteur à eau : alors que le réservoir de 200 litres est vide, en 2 min ça déborde ; normal puisqu'on est en train de remplir le réservoir de gasoil qui, lui, est plein…bon, ça nous donne l'occasion de nettoyer la cuve de gasoil et d'apprendre qu'au lieu des 90 litres, elle en contient 120, positivons positivons, y'a plus grave dans la vie.
    Cette fois, tout est prêt et nous quittons Dakar pour s'arrêter deux heures plus tard à l'île de Gorée. On passe la nuit là-bas et on prend la journée du lendemain pour s'y balader. C'est vraiment différent, beaucoup plus touristique, plus calme, il n'y a pas de voiture. Tout est bien arrangé, les maisons sont peintes dans de belles couleurs, les jardins sont beaux, pas de baraques de bric et de broc, de décharges sauvages...on pourrait dire que c'est le Bréhat du coin.

 

SALOUM (carte)

    Navigation idéale pour descendre de Gorée au Saloum. On se sent comme dans un cocon d'étoiles, de vent et de chaleur. Nomade file, trop même, et on est obligé de ne garder qu'un petit bout de génois de rien du tout pour ne pas arriver avant le lever du jour (à la fois pour ne pas percuter les pirogues des pêcheurs qui ne sont guère ou pas éclairées de nuit, et pour reconnaître la passe de Djiffer). Aux premières lueurs on pique vers le rivage, entre la pointe de Djiffer et le château d'eau, rivage que l'on longe jusqu'à trouver des piquets à laisser sur bâbord. Nous y sommes.
    Le Saloum est grand, immense même. Mais le monde est petit : à peine mouillés, un peu en amont, nous apercevons Gilles et sa femme, que nous avions rencontrés au CVD. Ils viennent nous voir, depuis leur feeling 10.90, et je réentends avec plaisir sa voix à lui, à la fois rocailleuse et chaleureuse. Ils ont une maison en chantier juste sur la berge, où ils vont vivre avec leurs deux fils. Il pensait que Nomade était aussi un feeling 10.90. La conversation coule comme le fleuve, on sent qu'on pourrait sympathiser davantage ; mais voyage, voyage et on profite de la marée montante pour jeter l'ancre une dizaine de milles en amont. A la nuit un violent orage éclate, zébrant de gros éclairs un ciel vraimentafricain. L'ancre tient.
    Lever à l'aube avec les oiseaux. On installe la table du cockpit, ce qui ne nous était pas arrivé depuis longtemps. Et, O délice, alors que je la croyais impossible, baignade. La berge n'est qu'une grande étendue de sable, d'eau et de palétuviers. Sous l'impulsion de Marik on rejoint des femmes qui cuisent des coques dans un petit campement. Elles les font bouillir puis les entrechoquent avec un sacré coup de main avant de les faire sécher au soleil. Une des femmes est drôle avec son " beaucoup d'argent " qui revient souvent dans la conversation. Quand on sait ce qu'elles gagnent !
    Le soir on quitte le Saloum pour bifurquer vers le sud, juste avant Guirnda. On mouille tout de suite dans le marigot, superbement calme, et on reste, non moins calmement, à bord. Au matin, deux singes qui me font juste coucou, et une petite nage pour aller examiner les huîtres sur les racines des palétuviers, mais elles sont vraiment trop petites. Et remontée un peu délicate, avec plusieurs échouages vaseux, et un singe qui semble nous narguer du haut d'un arbre mort jusqu'à …

NGHADIOR
    A peine ancrés, nous voyons arriver sur la rive un homme qui nous fait un grand " Bonjour, je suis l'ami des voiliers ", venez dîner chez moi. On accepte bien volontiers, et on le suit, dans l'obscurité montante, sur un chemin bordé de paillotes et de quelques bâtiments en dur aussi, jusques chez lui. Sa femme et ses 4 enfants nous accueillent comme des amis, et on sort des photos, des lettres d'équipages qui sont déjà passés ici. Mamadou Djamé est très volubile et parle un bon français. Il est 7 heures, le temps de casser le jeûne de ce premier jour de Ramadan, et on entre tous dans l'unique paillote d'habitation (il y en a une autre, à 10 mètres de là, qui abrite la cuisine) pour s'accroupir autour d'un plat de riz baignant dans une huile de palme magnifiquement orangée. On mange à la musulmane, avec la main droite, sauf l'affreux toubab qui se fait octroyer une cuiller (mais la toubab se lèche les doigts avec art !). Soirée familiale, dans la cour sableuse, où déambulent des grenouilles : les enfants, assis sur une grande natte, font leurs devoirs. L'un d'eux présente son ardoise pour qu'on lui pose des opérations, et ça devient vite un jeu pour tous, au point qu'on a du mal à fournir. Djamé m'explique que le tube néon qui nous éclaire date seulement d'août, lorsque ont été installés, sous sa responsabilité, une première série de panneaux solaires. Avant régnait le pétrole. On prend rendez-vous, moi avec Djamé pour visiter le dispensaire, et Marie avec Teneng, sa femme, pour préparer un thiéboudienne. Puis ils nous raccompagnent, à la lueur de lampes de poche, jusqu'au bolong.
    Le dispensaire, dont Djamé est co-responsable avec une infirmière, est un bâtiment en dur comprenant quelques pièces dont une salle de soins et une salle d'accouchement, mais les critères d'hygiène et même d'ordre sont assez éloignés des nôtres. Ce qui frappe c'est que personne n'ait envie de rendre ce lieu sinon coquet, du moins propre et fonctionnel. Il est vrai que le bricolage semble une notion inconnue, indigne des hommes sans doute, qui n'ont " le droit " que de pêcher, jouer ou discuter. Par contre l'installation des panneaux solaires, la même que celle qui équipe les habitations, est parfaitement opérationnelle : grosse batterie transparente, trois sorties 12v et une autre réglable de 0 à 12v, panneau de 50w bien orienté, c'est visiblement costaud et bien pensé (pas comme au Cap Vert !). Et parfaitement, écologique, sauf quand il faudra changer les batteries, dirait un copain des Verts !
    Puis Djamé nous emmène voir les notables : le chef du village, qui nous reçoit dans l'ombre profonde de sa case ; les anciens qui devisent benoîtement (pas tant que ça d'ailleurs) dans leur " maison des palabres ", tout au bord du bolong, et l'Imam, dont la mosquée est plutôt décrépite, sauf la coupole, qui étincelle de mille feux sous le soleil. En chemin, des enfants nous suivent puis nous prennent la main, et j'en ai bientôt quatre de chaque côté. Certains sont étonnés par les poils de mes bras et ils les caressent à qui mieux mieux. Cela ne m'est pas habituel ! On continue ainsi jusqu'au chantier naval où une grande pirogue est en construction ; il reste à la calfater, avec un mélange de poudre obtenue à partir de diverses parties du baobab et d'huile de palme.
    Dîner dans la case comme la veille, mais d'un thiéboudienne, excellent, préparé donc par Teneng et Marik. Il fait encore plus chaud (36° à l'ombre, dans le bateau, cet après-midi). Les enfants, de jeunes voisins se sont joints à eux, demandent encore plus d'opérations sauf Binta (la cadette) qui, atteinte d'une crise de palu, reste couchée sur la natte. Du monde défile dans la cour. Vraiment sympa.
    Nous resterons encore 2 jours dans les mêmes conditions. Nous discuterons avec les maîtres d'école, Séïdé, Semour, Saar, Jedi et nous entendrons une classe chanter l'hymne sénégalais, en français. Je deviendrai ami avec le jeune Ibrahim, qui montera dans le bateau, et y lira du baudelaire ; il m'offrira un coquillage. Marie invitera Teneng, avec son petit Séïdou, qui trouvera que c'est bien plus beau que chez lui. Nous verrons des baobabs, des oiseaux rouge et noir, des iguanes. Et le dernier soir nous descendrons dans les profondeurs du village saluer la mère de Teneng, avant de faire nos adieux. " On n'oublie jamais Nghadior et son accueil, jamais ", répète Djamé, un peu comme une incantation. Et c'est vrai.

DIORAN BOUMAK (l'île aux coquillages).
    C'est un lieu magique, plein de baobabs géants, de perruches, de perroquets au ventre jaune et aux ailes vertes, de merles violets au col turquoise et à l'œil jaune, de pélicans, de hérons. Autour de ce tumulus, fait de coquillages amassés vers l'an mil, l'eau est claire et les bains délicieux. Pour manger il suffit de couper des racines de palétuvier, elles sont couvertes d'huîtres, et de les faire griller comme des brochettes. Excellent. Un matin on voit des espèces de baleine à bosses au milieu du fleuve. Le matin suivant, celui de notre départ, c'est une tribu en pirogues qui déménage avec meubles et chèvres, et qui fait un arrêt pipi sur l'île.
    On fait une provision d'huitres et en avant pour

TOUBAKOUTA
    C'est une petite ville très différente de Nghadior. Chaque famille s'est délimitée un terrain, souvent clos de murs, parfois de la taille d'un village, avec mosquée privée ! Il y a même un cybercafé " Chez Lynda " : on peut enfin récupérer des messages et en écrire, entre deux pannes de courant. Je me fais faire une chemise chez un tailleur, qui propose à Marik une place dans son cœur et dans sa boutique !
    On se lève à l'aube pour aller observer oiseaux et singes, mais on ne rencontre que des … militaires français, en opérations dans le coin. Le jeune Moussa, qui voudrait un correspondant français, nous aide à faire le plein d'eau, et vient voir le bateau. On trouve aussi un petit marché couvert, avec quelques légumes, et un étal où trône un bœuf entier. Le boucher nous en découpe 2 kg dans une partie qu'on lui montre, au hasard ! La viande sera un peu dure mais très savoureuse. Et on repart pour

SIPO
    Ce petit village, posé sur la rive droite de la Bandiala, nous a été conseillé par " Billy le cordonnier ", à Toubakouta. On tombe très vite, pas tout à fait par hasard sans doute, sur sa femme, et qui sympathise tout de suite avec Marik. Soudain, on voit un homme qui part récolter du vin de palme, et on lui emboîte le pas, qu'il a long ! Il s'appelle Michel (c'est un Sérère catholique, comme une moitié du village), il a beaucoup d'allure (aux deux sens du terme !), et il grimpe aux palmiers comme, naguère, les agents EDF escaladaient les poteaux électriques ; mais à pieds nus. Le vin de palme est blanc, clair et acidulé. Avec quelques huîtres cuites, ça décape. On quitte Adeline, Augustin et Michel pour rentrer au bateau.
     Le lendemain, nous irons faire un tour vers la palmeraie, puis retournerons un bon moment chez la femme de Billy, qui a un bel ensemble de paillotes au bord du bolong, et dont les ascendants sont maliens. Des militaires débarquent, et on apprend que notre présence sur la berge, lors de notre promenade, a failli faire rater une mission !
    Nouvelle escale devant une annexe de l'hôtel des palétuviers, où il n'y a pas un chat. On se lave les cheveux et on fait le plein d'eau (soufrée ?) à un robinet extérieur. Et on va chercher les singes, pour ne trouver toujours que … des militaires. Marik pêche, à la ligne, une petite lotte qui, même sans peau et sans tête, émet des gargouillis bizarres. A terre, dans une sorte de lac salé, on observe un superbe toucan, des hérons, des perroquets et une mangouste.
    M'Baye, un pêcheur, nous a promis de nous faire voir des singes, vers Missirah, et nous allons mouiller de l'autre côté de la Bandiala pour nous rapprocher. Nous partons à 7h du matin et nous faisons une jolie balade à travers des champs de pastèques, et un joli village de huttes en dur harmonieusement disposées autour d'un calebassier. Mais de singe, pas la queue d'un, alors que deux filles qui sont restées dans un des champs de pastèques, en ont vu une vingtaine ; et M'Baye qui se dit pisteur, et qui " se sent obligé " de dire qu'on ne lui donne pas assez ! Il a l'air tellement peiné en disant cela que je lui donnerai un complément, après qu'il nous aura aidés, tout guilleret du reste, à faire un petit approvisionnement.
    Et vogue Nomade vers la dernière escale dans le Saloum, l'île de Woudiérin (dite aussi l'île de la femme Marabout). Le bolong est moins intime que prévu, mais extraordinairement tranquille dans le crépuscule.
    A terre, il y a un tout petit village où les femmes vivent les seins quasiment nus. Je joue au foot avec un petit gars qui, quand je shoote, fixe le ballon avec un regard d'une intensité incroyable. Le chef de famille est un homme dynamique qui veut faire fructifierson île grâce à la culture des papayers et au tourisme.
    Promenade le soir ; pas de singes, mais des oiseaux par centaines, tant et de tant de sortes, qui volent entre les arbustes et les baobabs, qu'on se croirait dans un récif corallien. Magique.
    Le lendemain, préparatifs avant le départ pour Brava.

 


6. Brava (novembre-décembre 2003)
 
Du Saloum à Brava (450 miles, 3 jours et demi)
   Pour sortir du Saloum, nous suivons la route indiquée par un document anglais : 13°37,30N  16°36,00W puis 13°36,65N 16°35,95W et cap au 196° vrai pour Banjul, plus sud-ouest pour nous. Des brisants impressionnants nous bordent des deux côtés, alors que la mer est vraiment calme ; au-delà des centaines de pélicans nous font une haie d'honneur lointaine. Il nous faut 3 heures pour quitter les hauts-fonds. La nuit se fait noire et l'air du large est plein d'une somptueuse odeur de bois chaud.
    La traversée sera enfin rapide, grâce à un vent bien stable N N-E de force 4-5. La mer remue cependant beaucoup et je m'ébouillante un petit bout du ventre en égouttant des spaghettis ; quelques grosses cloques, mais rien de bien méchant.
    Des puffins, des bataillons d'exocets, des centaines de dauphins à taches roses nous tiennent par moments compagnie (ce sont les animaux domestiques des marins ?). Un après-midi, Marik fait du pain et des brioches : on se croirait en France dans une bonne boulangerie. On laisse les îles de Santiago et de Fogo sur tribord, avec l'alternance de calmes et de surventes associés, pour arriver au petit matin du jeudi 13 à Furna.

BRAVA
    Le port de Furna, avec ses bâtiments hétéroclites, son village en surplomb, ses grosses roches, parait plutôt austère. Mais tout de suite, malgré l'heure matinale, deux " bravados " montent en annexe et nous aident à frapper une amarre arrière de 50m sur les grosses caillasses (contondantes, hélas) du quai. Une fois à terre, nous ferons connaissance d'Alberto, un de ceux qui nous a aidés, et de Toni, un gaillard à l'air sympathique qui semble nous rencontrer par hasard dans LE bar de Furna (en fait il n'en est rien ; c'est LE spécialiste de l'accueil des voileux).
    Tout le charme du port tient à ses habitants : le beau Toni, donc, avec qui je prendrai une demi cuite, un samedi soir, et qui se mettra à danser superbement sur des airs de Gil Semedo (notre relation se refroidira quelque peu lorsqu'on saura qu'il récupère les médicaments pour son compte personnel). Les petits vieux et vieilles qui font dorer leurs visages joliement ridés sur le pas de leur maison ; Marik soignera les yeux de l'un et la jambe d'un autre. Les femmes qui se retrouvent lors des distributions d'eau, payantes et à heures fixes, et rient et se chamaillent. Et puis surtout Alberto Andrade, dit Beto : un " humaniste " avec qui on aura toujours plaisir à discuter, et qui nous en impose par la clarté et la largeur de ses vues. Et c'est lui de plus qui nous emmènera moi, Claude (skipper du Talios, arrivé un peu après nous) et parfois Marik, chasser sous la mer presque tous les jours. Un chasseur remarquable, à la vue perçante, et aux gestes d'une économie et d'une efficacité rares ; pratiquement à chaque tir il remonte un poisson, ce qui nous permet d'organiser deux soirs de suite des bbq vraiment sympas,avec Alberto bien sûr, et l'équipage du Talios (Claude, Irène sa femme, Phil, un suisse de Genève, et Christophe, un breton parisien, tous deux recrutés sur internet).
    La capitale de l'île, Nova Sintra, semble faire une douce sieste éternelle dans l'aisance que lui procure l'argent de ses émigrés (pendant notre court séjour, le chargement complet d'un cargo venant des USA sera débarqué dans un hangar pour distribution aux habitants). Nous y rencontrerons un commerçant qui nous fera cadeau d'une passoire, d'une bière et de bonbons avec une gentillesse absolument désarmante. Et lorsque Pepe, un rasta chauffeur d'aluguer, fera attendre 20 minutes tous ses passagers rien que pour me permettre de consulter la météo sur internet, chez un particulier, il n'y aura pas l'ombre d'un énervement.
    En partant de Furna, on accède à Vinagre par un chemin moins évident que ne le disent guide ou habitants. Mais cette " hacienda " abandonnée vaut vraiment le déplacement, pas seulement pour sa source d'eau au goût légèrement vinaigré, excellente à boire, mais aussi pour ses terrasses de culture, encore bien visibles, ses palmiers, son bougainvillée immense, et un magnifique bâtiment consacré à la captation et à la distribution de l'eau, avec aux angles hauts, quatre gargouilles étranges offrant un petit air maya. Ajoutez à cela une citerne en forme d'amphore, des libellules rouge, un geai aux couleurs fluos, et des inscriptions en rouge sur la Tchétchénie, et vous aurez un lieu réellement peu ordinaire. Le retour, sous la canicule se révèlera moins enthousiasmant.
    Pepe nous emmène dans son aluguer, avec Claude , Irène et Phil jusqu'à Faja de Agua, un port de pêche au nord-ouest. La descente est superbe mais le village lui-même, assez sauvage, et le mouillage, à cause des rouleaux incessants, ne semblent pas aussi idylliques que cela. Il est vrai que, pressés par Pepe, nous ne restons pas déjeuner avec un couple courageux (la femme est française) qui a monté un hôtel sue la plage, ce qui aurait peut-être modifié notre point de vue.
    Nous visiterons aussi l'école, où nous assisterons à un cours de ... maths. L'ambiance est trés studieuse, et quand l'élève au tableau fait un calcul juste, tous les autres applaudissent en chantant, fort, une phrase d'encouragement.
    Talios partira le mercredi 19 pour Fogo, puis les Bijagos, mais sans Christophe qui a décidé de poser son sac. Un autre voilier mouillera près de nous, un plan Caroff de 14T, mais il cassera une amarre pendant la nuit, et préfèrera partir. Un autre encore, mené par un couple d'un abord peu chaleureux, prendra la place de Talios et partira juste avant nous.
Derniers achats, pain et grogue. Au débarcadère, la voisine de mouillage pique une crise de nerfs parce que le douanier lui demande de faire les formalités, et qu'elle n'a plus d'escudos. Il accepte de ne pas faire payer. Quand elle descend dans l'annexe avec nous (la leur est kaputt), elle manque de tomber à l'eau et tout le monde rit plus ou moins intérieurement.
Adios Alberto, adios Pepe, adios los gentes de Brava, los vielos …

7. Traversée

    Beau premier jour, avec l'alizé qui nous fait filer à 7-8 nœuds. On se voit déjà sur l'autre rive en 13 jours, ce qui rend très supportable le boucan et le remue-ménage ambiant. Mais hélas cela ne durera pas. Pour résumer, sur les 20 jours, on aura 5 jours durant lesquels on fera plus de 120 miles (maxi : 150), 7 jours moins de 100 miles (mini : 58). Et la route nous a parus parfois longuette.
    Mais la boulangère fait du pain, du pain de mie et une flamiche. Et le mari de la boulangère que fait-il ? Il tangonne. Mais avec qui ? Avec la femme du mari de la boulangère. Et qui aide la boulangère à enfourner ses miches ? Le mari de …
    Mais les coryphènes et cavalos pleuvent sur la table, du moins jusqu'au 27. Car après plus rien, sinon des lignes cassées. Et une très grosse coryphène, échappée au dernier moment de l'épuisette ; étrangement elle était épaulée dans sa lutte par deux consoeurs. Et après encore moins que plus rien.
    Mais un superbe oiseau blanc à longue queue et au bec rouge vif.
    Mais une nuit où on se fait prendre par des grains noirs qui nous suivent comme une meute déchaînée. Pendant quatre heures je tiens la barre sous une pluie diluvienne, tandis que Marie-Christine me guide en s'aidant du radar. Mais je me sens comme un joujou entre les mains d'un gosse idiot. Et le lendemain une armée de cumulo-nimbus vers le couchant nous inquiète rudement,pour finir par rentrer à la caserne bien gentiment.
    Mais on a le temps de faire plus ample connaissance avec Betelgeuse dans Orion, Sirius dans le grand chien (d'Orion, qui a aussi un petit chien), Canopus dans la Carène (Carina) et Cappella et les autres.
    Mais on teste toutes sortes de combinaisons de voiles ; génois plus solent, au vent arrière, cela fonctionne stablement. Et on peaufine notre point d'atterrissage : de Bequia au départ, on se décide pour Tobago, qui nous parait plus intéressant que les " Tobago cayes ".
    Mais on peut rester des heures en fascination devant cette mer à la fois immensément homogène, par sa masse énorme d'eau identique, et infiniment hétérogène par ses vagues, ses reflets, ses courants, ses couleurs, eux-mêmes infiniment changeants et chatoyants.
Et on observe, la nuit, les rares bateaux que l'on croise ou côtoie (3 voiliers en tout et pour tout dans les 20 jours).
    Et on arrive un matin, pas si content que ça se termine. A Scarborough, Tobago.